J.O. 66 du 19 mars 2003
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Mémoire complémentaire à la saisine du 14 février 2003 présentée par plus de soixante sénateurs et visé dans la décision n° 2003-467 DC
NOR : CSCL0306440X
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, les observations du Gouvernement sur les griefs développés par la saisine vous déférant la loi pour la sécurité intérieure appellent de notre part les répliques suivantes.
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I. - Sur l'article 3 de la loi
Le Gouvernement ne répond que très partiellement aux griefs développés dans la saisine et n'emporte pas l'adhésion. Qu'en particulier, les questions soulevées par la possibilité de prononcer des réquisitions ne sont pas les seules critiquées. Qu'il en va ainsi, notamment, des mots figurant à la fin du 4° introduit par la loi dans l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : « ... et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ». Corps de phrase auquel il est fait référence par le troisième alinéa prévu pour ce 4° nouveau en ce que « le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté ». Or, sur ce point, les observations du Gouvernement sont muettes.
I-1. S'agissant, d'une part, du pouvoir de réquisition, la réponse du Gouvernement n'est pas convaincante et reste taisante sur les graves interrogations posées par l'expression « toute mesure utile »
Il est éclairant de lire sous la plume du Gouvernement la liste des nombreux fondements au titre desquels les préfets peuvent procéder à des réquisitions. Le ministre de l'intérieur avait indiqué, lors de la séance du 16 janvier 2003, que cette disposition était nécessaire pour « donner un fondement juridique solide au pouvoir de réquisition du préfet » afin de traiter des crises liées à des catastrophes naturelles, sanitaires ou industrielles.
Or, il apparaît que ces situations sont déjà couvertes par les textes en vigueur, ainsi que l'a montré l'actualité récente en matière de dommages graves causés à l'environnement. Les exemples donnés par le Gouvernement ne montrent pas en quoi ce pouvoir nouveau est nécessaire. En particulier, la réquisition de certaines entreprises pour procéder au nettoyage de terrains après une « rave partie » laisse songeur dès lors que, en général, ce type de manifestation se déroule sur le territoire d'une seule commune, et qu'au surplus, il est difficile d'y voir une situation répondant à la notion, extraordinaire, de circonstances exceptionnelles.
On ajoutera que, pour les situations les plus graves, y compris les menaces liées à l'activité terroriste, c'est le territoire national qui est en cause et c'est au Gouvernement de prendre toute mesure adaptée à ces circonstances. Il en va ainsi de la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence étendant, après sa déclaration par décret pris en conseil des ministres, les pouvoirs de police des préfets.
Il faut bien avouer que le Gouvernement ne caractérise en rien les situations que l'article critiqué entend réellement appréhender et ne démontre absolument pas sa nécessité. Du fait de cette imprécision, et alors que les libertés publiques et individuelles peuvent être en cause, l'article concerné encourt la censure.
Mais il y a plus.
Si le Gouvernement se montre disert sur les différents régimes permettant les réquisitions, il est totalement silencieux sur le sens et la portée de l'expression « toute mesure utile » en relation avec l'atteinte à l'ordre public.
C'est dire sa gêne.
Dans cette notion très floue gisent tous les vices que les auteurs ont dénoncé dans leur saisine. En l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire, celle-ci n'étant prévue en aucune façon par le texte critiqué, cet article ne peut échapper à la censure. L'argument selon lequel, dans le cadre des pouvoirs de police administrative, le législateur n'est tenu par aucune règle de valeur constitutionnelle de prévoir l'intervention de l'autorité judiciaire apparaît pour le moins paradoxal. La critique principale, en effet, repose sur la circonstance que la définition fort large et imprécise retenue par cet article risque de placer abusivement dans le champ de la police administrative ce qui relèverait normalement de la police judiciaire. S'il s'agit d'éviter la constitution d'un barrage routier, on peut se trouver dans le champ de la police administrative. S'il s'agit de réprimer ceux qui auraient commis une infraction à l'occasion d'un tel barrage, on est dans le champ de la police judiciaire. La première hypothèse relève des pouvoirs du préfet, la seconde de ceux du procureur de la République.
Autrement dit, la présente disposition confère au préfet le pouvoir de placer sous sa seule autorité des actes de police qui relèvent habituellement du pouvoir de contrôle de l'autorité judiciaire. On en voudra pour preuve que les mots « atteinte à l'ordre public ait pris fin » peuvent parfaitement couvrir la recherche et la répression d'infractions commises ou en cours de commission.
I-2. S'agissant, d'autre part, du pouvoir reconnu par l'article au tribunal administratif de prononcer une astreinte, elle pose problème pour ce qui concerne les personnes physiques
Qu'en effet, dans un récent arrêt, le Conseil d'Etat, interrogé par le tribunal administratif de Toulouse, a considéré que le pouvoir d'astreinte ne valait à l'encontre des personnes physiques dès lors qu'il « ressort du rapprochement des dispositions, issues de la loi du 8 février 1995, des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative qu'elles n'ont pas eu pour objet de créer, à l'encontre des personnes privées n'entrant pas dans leur champ d'application et pour l'exécution d'une obligation de payer, un régime d'astreinte qui se substituerait ou s'ajouterait aux voies d'exécution de droit commun » (CE 28 octobre 2002, M. Walter et autres, no 240088).
L'article critiqué entend donc bien, allant au-delà de la lettre et de l'esprit du code de justice administrative, prévoir un régime particulier de sanction administrative, prendrait-il la forme de l'astreinte, qui s'ajoutant aux voies de droit commun constituerait une procédure répressive singulière risquant, en définitive, de conduire à la condamnation d'une personne physique pour un montant total supérieur au montant total de l'amende prévu par le dernier alinéa de l'article en cause.
De tous ces chefs, la censure est certaine.
II. - Sur l'article 11 de la loi
Le Gouvernement prétend, pour l'essentiel, que cette disposition créant un nouvel article 78-2-2 dans le code de procédure pénale répond à l'ensemble des exigences posées par votre jurisprudence la plus classique et particulièrement par la décision du 12 janvier 1977.
En réalité, force est de constater qu'il n'en est rien.
La décision précitée du 12 janvier 1977 a jugé que le texte alors soumis à votre examen portait atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle en pointant, entres autres vices, « le caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs [de contrôle] pourraient s'exercer... » (considérant 5). Si les auteurs de la saisine ne peuvent que s'associer à toute procédure tendant à faciliter la lutte contre les actes de terrorisme ou des infractions particulièrement graves, c'est en demeurant vigilant pour qu'une telle démarche ne serve pas de prétexte à des mesures plus générales et n'ayant pas la même justification.
Si le texte querellé prend soin de reprendre certaines des garanties déterminées par votre jurisprudence, et en particulier l'intervention ab initio de l'autorité judiciaire, il demeure que les hypothèses dans lesquelles ces contrôles pourront être diligentés sont particulièrement larges et, dans la réalité des faits, permettront de viser toute infraction, hors même l'exigence de gravité avancée par le Gouvernement tant au cours des débats au Parlement que dans les observations.
On a vu que le visa de l'article 227-37 du code pénal permettrait de fouiller tout véhicule où des personnes consommeront des stupéfiants. On imagine, par exemple, au sortir des discothèques ou dans certains quartiers comment cela pourra donner lieu à des « campagnes de fouilles ».
Le fait de viser les articles 321-1 et 321-2 du code pénal permettrait des opérations encore plus générales, dès lors qu'il s'agit là de l'infraction de recel. Or, comme le relève la Cour de cassation, ce texte « rédigé en termes généraux ne distingue pas entre les différents crimes et délits à l'origine de l'obtention des choses recelées », ce qui exclut seulement les contraventions (Crim. 10 juillet 1969, D. 1969, 546). Il a ainsi été jugé que la chose recelée pouvait provenir d'infractions aussi variées que le détournement de correspondance ou un paiement de chèque sans provision (Crim. 3 octobre 1972, D. 1972, 718), et qu'il y a recel même si l'auteur de l'infraction d'origine n'a pas encore été condamné ou n'a pas été identifié (Crim. 9 novembre 1965, D. 1966, 65).
C'est dire que cela ouvre un champ pour des campagnes de fouille particulièrement ambitieuses et larges dans leur compréhension.
Il s'en évince une double critique complémentaire.
D'une part, et le Gouvernement s'est bien gardé d'y répondre dans ses observations, il paraît difficile dans ces conditions que l'autorité judiciaire puisse assurer le contrôle effectif, permanent et direct desdites opérations (Cass. chambre mixte, 15 décembre 1988). L'exigence telle que posée par votre jurisprudence pour ce qui est du rôle de l'autorité judiciaire n'est évidemment pas seulement d'apparence, mais doit être concrètement exercé.
Or, la réalité oblige à considérer que le champ très large, y compris toutes les infractions d'atteintes aux biens, retenu par l'article critiqué rend le respect de cette condition, constitutionnellement imposée, impossible.
D'autre part, et contrairement aux écritures du Gouvernement, le fait de prévoir que les infractions révélées par une fouille de véhicule n'entraîneront pas la nullité des procédures incidentes manque à tous les principes de la procédure pénale. Si l'article 78-2 du code de procédure pénale prévoit certes une disposition de même facture, c'est en raison de son caractère général propre aux contrôles d'identité.
En revanche, s'agissant des visites, les articles 706-24, 706-28 et 706-35 dudit code, lesquels tendent pourtant à réprimer les actes de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de proxénétisme, retiennent le principe de nullité des procédures incidentes.
On voit bien, au terme de cette comparaison entre deux mécanismes forts distincts, que le dispositif critiqué ne tend pas à des visites de véhicules, précisément encadrées pour la recherche de personnes poursuivies dans le cadre de la répression d'infractions particulières, mais à rendre possibles des contrôles généraux dont l'autorité judiciaire ne pourra pas s'assurer véritablement.
Dans ces conditions, il ne peut faire de doute que l'article critiqué tend à rendre possibles des fouilles générales de tous les véhicules et sans que la recherche d'infractions précises en constitue le cadre limité placé sous le contrôle direct et permanent de l'autorité judiciaire.
De tous ces chefs, la censure ne peut être évitée.
III. - Sur l'article 12 de la loi
Les observations du Gouvernement font valoir qu'il s'agit d'une procédure spéciale aux crimes et délits flagrants et qu'en conséquence les dispositions applicables à cette phase de la procédure le sont également en l'espèce.
Cette lecture de son texte par le Gouvernement, conscient du vice constitutionnel l'affectant, ne peut davantage emporter la conviction.
D'abord, on relèvera que les dispositions relatives aux enquêtes de flagrance relèvent du chapitre Ier du titre II du livre Ier du code de procédure pénale alors que l'article critiqué figure au chapitre III de ce même titre. Sans renvoi exprès aux articles 53 à 74 de ce code, et notamment 56-1 à 57, l'article 78-2-3 en cause ne saurait relever des mêmes garanties.
Ensuite, et pour preuve, il suffit de constater que l'article 78-2 du code de procédure pénale, à la suite duquel l'article querellé prend place, prévoit expressément les modalités d'intervention du juge judiciaire. Que s'agissant d'une enquête de flagrance, rien n'interdirait de procéder sous le contrôle de cette autorité ainsi que l'a prévu pour les visites domiciliaires l'article 706-24 du code de procédure pénale.
Il est donc acquis qu'en ne prévoyant pas, expressis verbis, l'intervention de l'autorité judiciaire, l'article critiqué méconnaît les principes constitutionnels qui s'appliquent à la matière.
IV. - Sur l'article 13 de la loi
Le Gouvernement prétend que cet article s'inscrit dans le cadre de la police administrative, en sorte que le rôle subalterne et plus que limité de l'autorité judiciaire s'en trouverait justifié.
La démonstration ne convainc toujours pas surtout si l'on confronte ce mécanisme à votre jurisprudence aux termes de laquelle « la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (décision no 93-323 DC du 5 août 1993, considérant 9).
En premier lieu, on doit s'interroger sur la présence dans le code de procédure pénale d'un dispositif relevant de la police administrative, soit donc placée sous l'autorité du préfet, alors que le livre Ier de ce code, au sein duquel s'insère l'article concerné, vise les opérations conduites par les officiers de police judiciaire et, dans certaines conditions, les agents de police judiciaire, sous l'autorité du procureur de la République ou du juge de l'instruction et des libertés.
L'incohérence ne s'arrête pas là, dès lors que le Gouvernement écrit que ce dispositif n'est pas « sans analogie avec le mécanisme de l'enquête préliminaire non coercitive qui permet de pratiquer une perquisition domiciliaire... » (page 12 des observations en réponse du Gouvernement). Or, par définition, les enquêtes préliminaires relèvent de la police judiciaire.
Il s'ensuit que la défense du Gouvernement paraît singulièrement floue.
Force est de constater que cet article , à l'instar de plusieurs autres dispositions de la loi, aboutit à rendre perméable la frontière entre la police judiciaire et la police administrative. L'enjeu n'est pas alors seulement celui de la théorie du droit, mais des garanties constitutionnelles que ces qualifications entraînent.
C'est bien la logique protectrice des libertés individuelles dessinée par vos décisions des 7 janvier 1977 et 19-20 janvier 1981 qui serait remise en cause par l'admission d'une telle porosité entre les notions de police administrative et de police judiciaire. La vigilance qui s'impose en la matière ne manque jamais d'être rappelée par la Cour de cassation. Ainsi, faisant directement application de votre décision du 5 août 1993 (décision no 93-323 DC), la haute juridiction a jugé que « le nouveau texte n'autorise pas pour autant les contrôles effectués au titre de la police administrative en l'absence de toutes conditions de fond susceptibles de faire présumer une menace pour l'ordre public » (Civ. 2e 28 juin 1995, Bechta).
Or, comme cela a été montré dans la saisine (page 12), une lecture comparée avec l'article 78-2 du code de procédure pénale montre qu'aucune des précisions propres à justifier de tels contrôles ne sont ici présentes.
Pour le dire autrement, l'article critiqué vise, à l'instar des articles 11 et 12 de la loi, à généraliser les fouilles de véhicules sans que les garanties prévues en matière de contrôle d'identité soient prescrites.
De ces chefs, la censure est encourue.
V. - Sur les articles 21 à 25 de la loi
Les observations du Gouvernement entreprennent, sans convaincre, de réécrire les articles en cause pour tenter de les faire échapper à l'invalidation. Par ailleurs, certaines des dispositions de ces articles sont passées sous silence alors qu'elles ont fait l'objet d'une critique précise dans la saisine, montrant ainsi l'embarras du Gouvernement.
S'agissant de la constitution de ces fichiers, les auteurs de la saisine sont satisfaits de lire que la loi du 6 janvier 1978 s'appliquera pleinement à ceux-ci ; même s'il eût été, sans doute, plus simple de le prévoir d'emblée...
Cette précision ne peut cependant suffire à sauver le mécanisme mis en place par les articles critiqués et en particulier au regard du principe de finalité dont le respect est propre à garantir la liberté individuelle et la vie privée.
Or, force est de constater qu'à cet égard, et contrairement aux allégations du Gouvernement, aucune des craintes relevées par la CNIL dans sa délibération du 19 décembre 2000 relative au fichier dit « STIC » et dans sa délibération du 24 octobre 2002 sur la présente loi, ne font l'objet d'explications ou de justifications satisfaisantes au regard des dangers que ces fichiers, aux contenus très larges, peuvent faire courir aux libertés individuelles.
Si, comme indiqué, il s'agit de fichiers visant à faciliter les enquêtes judiciaires (observations du Gouvernement, page 16), en conservant des antécédents judiciaires est-on tenté d'ajouter, rien, du point de vue de cette finalité, ne justifie la faculté envisagée pour leur consultation dans des conditions aussi ouvertes que celles prévues par l'article 13 de la loi.
D'une part, la liste des enquêtes administratives pouvant justifier la consultation de ces fichiers sera prévue par décret. En sorte qu'à cet instant, on ignore si celles-ci seront respectueuses de la finalité de ces fichiers. En renvoyant à cet égard au pouvoir réglementaire sur ce point, le législateur, en tout état de cause, est resté en deçà de sa compétence telle que définie par l'article 34 C.
Enquêtes qui ne seront pas placées sous l'autorité judiciaire.
D'autre part, et le Gouvernement ne dit mot à cet égard, rien au regard de la finalité d'un fichier facilitant les enquêtes judiciaires ne peut fonder son accès pour l'instruction des demandes d'accession à la nationalité française ou au renouvellement de la carte de séjour. La filiation de ces mesures avec les programmes de certains partis politiques doivent, à n'en pas douter, expliquer le silence des observations du Gouvernement sur ces paragraphes de l'article 13.
De tous ces chefs, la censure ne peut être évitée.
VI. - Sur l'article 30 de la loi
Il n'est pas réellement répondu aux griefs développés dans la saisine. Mais, surtout, le Gouvernement peine à justifier que le simple témoin puisse être soumis à une telle mesure contraignante.
Le statut de témoin s'oppose à ce qu'il soit traité comme une personne à l'encontre de laquelle des indices graves et concordants existeraient. L'article 62 du code de procédure pénale le montre implicitement. Cela permettra également de contourner l'article 105 du code de procédure pénale prohibant que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent pas être entendues comme témoins.
L'article critiqué en retenant le témoin parmi les personnes susceptibles d'être soumises à ces prélèvements externes, dont la portée juridique est identique aux investigations corporelles internes, méconnaît les grands équilibres de la procédure pénale et le principe de la présomption d'innocence.
VII. - Sur l'article 50 de la loi
L'argumentation du Gouvernement justifie pleinement les griefs dirigés contre cette disposition.
En premier lieu, la thèse selon laquelle une « attitude même passive » répond aux exigences du principe de légalité des délits et des peines et permet d'éviter toute application arbitraire ne résiste pas à l'examen un seul instant.
Par définition, le fait d'inciter autrui à quoi que ce soit, y compris à des relations sexuelles contre rémunération, suppose un acte positif et donc une attitude active. Ainsi que le dictionnaire Le Petit Robert l'indique, l'état passif est caractérisé par le fait de subir, d'éprouver. C'est le cas d'une personne qui se contente de subir, de ne faire preuve d'aucune activité, d'aucune initiative (édition mise à jour en juin 2000).
La Cour de cassation a jugé que le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des automobilistes ou à des piétons qui se sont arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités ne peut constituer à lui seul, de la part de la personne prévenue, l'infraction de racolage actif (Crim. 25 juin 1996).
Au surplus, une telle définition pourra justifier des contrôles d'identité incessants et non justifiés. Il en ira de même des fouilles de véhicules. Or, comme cela a déjà été rappelé, vous avez jugé que « la pratique de contrôle d'identités généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle » (décision du 5 août 1993, précitée).
Il est tout simplement impossible de considérer que la définition de la nouvelle infraction couvre une situation suffisamment précise au regard du principe de légalité. Elle ne peut qu'entraîner, bien au contraire, des applications arbitraires selon l'appréciation variable des officiers de police judiciaire et selon des circonstances étrangères à la définition du délit. On imagine aisément que la personne se prostituant notoirement subira la pression permise par une définition aussi floue.
On ajoutera que le Gouvernement avance, pour tenter de sauver la disposition, que les prostitués qui se livrent à cette activité ont un comportement plus agressif et plus outrancier (page 23 des observations). Là encore, un tel comportement est tout sauf passif et révèle une attitude plus qu'active.
En second lieu, sur le principe de nécessité tel que porté par l'article 8 de la Déclaration de 1789 et la critique de disproportion manifeste, le Gouvernement ratifie, paradoxalement mais nécessairement, la thèse de la saisine.
La seule justification apportée pour justifier l'introduction d'un nouveau délit flou et imprécis dans le code pénal, et alors qu'y demeure une autre infraction de nature contraventionnelle aux termes très proches, tient donc au fait que les personnes se livrant à la prostitution et venant de pays étrangers seraient plus « agressives et outrancières ».
On remarquera d'abord qu'il n'est guère acceptable de désigner ainsi des personnes qui sont souvent les victimes de réseaux criminels, étant parfois réduites à l'état d'esclavage. Que leur comportement prétendument agressif mérite moins d'entrer dans la catégorie des délinquants que de susciter l'aide et l'assistance.
Mais surtout, ensuite, le raisonnement implicitement suivi par le Gouvernement aboutit à considérer que l'infraction de l'article R. 624-8 du code pénal jouera pour les prostitués « classiques », évidemment de nationalité française, alors que le délit du nouvel article 225-10-1 du code pénal serait applicable aux prostitués « nouveaux » de nationalité étrangère. Cette lecture expressément proposée par le Gouvernement dans ses écritures en défense, et qu'il n'avait pas osé exprimer aussi crûment lors des débats, se heurte au principe d'égalité aux termes duquel on ne saurait discriminer entre les Français et les étrangers lorsque sont en cause les droits et libertés fondamentaux. Votre jurisprudence est assez abondante à cet égard pour ne pas la rappeler.
Une telle logique est insupportable et inacceptable dans un Etat de droit.
On ajoutera que si des agressions sont le fait de personnes se livrant à la prostitution, vols, coups, extorsions de fonds, l'arsenal de notre droit répressif comprend suffisamment d'infractions pour réprimer de telles exactions.
Enfin, le Gouvernement se garde bien de répondre à l'argument selon lequel cette nouvelle infraction permettra, en réalité, de placer en garde à vue certains prostitués selon le bon vouloir des forces de l'ordre.
Le code pénal en comprenant deux infractions de même sens, mais dont l'une est plus large car floue et imprécise, permettra de moduler non seulement la répression des comportements selon des applications arbitraires, mais, de surcroît, de les soumettre à des régimes de procédure pénale différents. Dans le cadre du nouveau délit, c'est bien le placement en garde à vue qui justifiera cette qualification plutôt que celle figurant à l'article R. 625-8 du code pénal.
Or, du point de vue de la nécessité des peines, cette construction ne peut satisfaire. Ainsi qu'il a été amplement montré, comme le reconnaît le Gouvernement, l'article R. 625-8 du code pénal autorise déjà la répression des attitudes provocatrices et la police administrative rend possible d'assurer la tranquillité publique et notamment celle des riverains de certains quartiers.
Du point de vue de l'ordre public, cette nouvelle infraction n'apporte rien. En revanche, elle soumet à un régime de procédure pénale plus sévère certaines personnes selon des appréciations qui peuvent se révéler totalement arbitraires.
Les critères dégagés dans votre décision du 16 juillet 1996 sont ici pleinement réunis et l'invalidation de l'article critiqué ne méconnaîtrait en rien le pouvoir d'appréciation du Parlement, dès lors qu'il s'agirait de censurer une erreur manifeste d'appréciation ainsi que vous l'avez décidé encore très récemment (décision no 2003-466 DC du 20 février 2003).
En troisième lieu, le Gouvernement feint de ne pas comprendre en quoi cette disposition pourrait porter atteinte au principe de dignité humaine.
La réalité des réseaux criminels qui réduisent au rang d'esclave certaines des prostituées ne peut pas être, au moment où l'on discute de la portée de la disposition critiquée, ignorée.
Le placement en garde à vue arbitraire des personnes relevant de ces réseaux les rendra suspectes aux yeux de leurs tortionnaires d'avoir, par exemple, révélés certains noms ou faits aux autorités de police. Elles représenteront alors un risque pour ces criminels et risqueront de subir des représailles qui peuvent aller jusqu'à des traitements inhumains et dégradants. Ces dernières années ont malheureusement montré que ce ne sont là des hypothèses.
Plus gravement, si elles apparaissent une menace décidément trop sérieuse pour le réseau, ces personnes, réduites en esclavage, risqueront d'être envoyées dans un autre pays pour continuer la prostitution ou même dans leur Etat d'origine. Elles seront alors exposées à des traitements inhumains et dégradants encore plus grave, si on peut imaginer un degré dans l'horreur, voire à la mort.
Autrement dit, pour satisfaire la tranquillité publique, et alors que notre droit offre tous les moyens de répondre aux attentes des riverains, on prend le risque de soumettre à des traitements inhumains et dégradants les prostitués victimes de réseaux criminels pour qui la vie de son prochain ne compte pas. On ajoutera qu'aujourd'hui de nombreuses associations à but humanitaire offrent l'aide et l'assistance à ces personnes et peuvent parfois les extraire de cette souffrance psychique et physique. C'est cette petite lueur d'espoir qu'on risque aussi de réduire à néant.
Du point de vue de la dignité humaine, le fait que les atrocités se dérouleraient hors le territoire national ne change évidemment rien à la force du raisonnement.
Entre la législation-spectacle qui n'apporte rien à l'ordre public et la sauvegarde de la dignité et de la vie humaine, il apparaît que, dans un Etat de droit, le choix ne souffre guère d'hésitations.
En dernier lieu, en ce qui concerne la pénalisation du client de la personne qui se prostitue en situation de vulnérabilité, le Gouvernement ne répond pas aux griefs développés.
Les auteurs de la saisine n'ignorent pas la présence de la notion de vulnérabilité dans notre droit. En revanche, ils pointent la difficulté de l'appliquer aux cas visés par l'article critiqué.
En effet, d'une part, on doit avouer que toute personne victime d'un réseau criminel l'ayant réduite en esclavage doit être regardée comme vulnérable. D'autre part, le Gouvernement ne répond pas au fait que cette disposition risque d'entraîner une prostitution clandestine se déroulant dans des conditions dégradantes.
On rappellera que l'article 225-14 du code pénal réprime le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La cour d'appel de Paris a jugé une telle infraction encore récemment (CA Paris, 19 mars 2002). Pourtant, c'est bien cette conséquence que l'article critiqué porte en lui.
En repoussant inévitablement vers la clandestinité une partie de la prostitution, on risque de faire subir des traitements inhumains et dégradants aux personnes concernées. A cet instant, une intention louable risque de se transformer en remède pire que le mal.
De tous ces chefs, la censure est encourue.
VIII. - Sur l'article 51 de la loi
Pour tenter de sauver cette disposition, le Gouvernement établit une comparaison avec le proxénétisme hôtelier. Cette comparaison ratifie la thèse des saisissants.
L'élément matériel du délit de proxénétisme par fourniture de locaux consiste à accepter ou à tolérer habituellement qu'une ou plusieurs personnes se livrent à la prostitution à l'intérieur de l'établissement ou de ses annexes ou y recherche des clients en vue de la prostitution. Pour entrer en voie de condamnation, le juge doit relever avec précision les éléments constitutifs, et particulièrement l'habitude qui en constitue un élément essentiel (Crim. 18 avril 1989, D. Pénal, 1990, no 53).
On le voit, il s'agit-là de réprimer, dans le cas du proxénétisme par assimilation, celui qui, personne physique ou personne morale, tire profit de la prostitution d'autrui même indirectement ou la facilite en faisant fonction d'auxiliaire ou d'intermédiaire.
Rien de tel en l'espèce.
Le fait de vendre une voiture en sachant que son acquéreur va l'utiliser pour se prostituer n'érige pas le vendeur, concessionnaire automobile ou particulier, en auxiliaire même occasionnel de la prostitution d'autrui. Interdire cette vente constitue, du point de vue de la liberté d'entreprendre, une limitation injustifiée dès lors que l'acquéreur se propose d'utiliser ce bien pour une activité licite.
Plus fondamentalement, le fait de vendre un bien meuble de consommation courante à une personne qui exerce une activité libre, ce qu'est encore la prostitution, ne saurait transformer quiconque en proxénète. Admettre, ce que le code pénal n'a encore jamais fait, que les actes les plus courants de la vie quotidienne deviennent interdits à la personne qui se prostitue ne peut que conduire à leur isolement social et à la marginalité qui en résulte souvent. Car, au surplus, une voiture peut fort bien servir pour partie à la prostitution et pour une autre part à des déplacements d'ordre privé et, pourquoi pas, à des voyages en famille. La mesure critiquée empêcherait cette liberté d'aller et venir et plus fondamentalement la liberté individuelle de la personne se prostituant.
Pour tout dire, on imagine que les réseaux de criminalité et les proxénètes pourront se fournir des véhicules automobiles de toutes autres manières. Ne se livrant pas eux-mêmes à la prostitution, ils ne seraient pas, en outre, concernés par cette nouvelle infraction. L'article querellé est d'autant plus inutile que, pour contourner la mesure, il suffira d'acquérir un véhicule via un prête-nom ou dans un Etat frontalier. Les réseaux n'auront aucune difficulté pour y parvenir, la personne se prostituant sera souvent la seule affectée.
Cette mesure inutile porte une atteinte injustifiée à plusieurs droits et libertés fondamentaux et encourt la censure.
IX. - Sur l'article 65 de la loi
Le Gouvernement ne montre pas en quoi la nouvelle infraction se distingue de celle d'extorsion de fonds ni en quoi, elle est strictement nécessaire.
D'une part, on ne voit pas, ni au titre de la ratio legis ni au titre de la jurisprudence, en quoi l'infraction d'extorsion de fonds ne pourrait pas se réaliser sur la voie publique. D'autre part, aucune précision n'est apportée sur les « attitudes d'intimidation qui ne tomberaient pas nécessairement sous le coup du délit » précité.
Il est cependant reconnu que la nouvelle infraction permettra le placement en garde à vue des personnes se livrant à la mendicité. Or, de deux choses l'une : ou nous sommes en présence d'une extorsion de fonds et cela se justifie pleinement, ou nous sommes confrontés à une mendicité hyperactive et cela n'est pas nécessaire.
Quant à la proportionnalité des peines, si le Gouvernement tente d'y répondre pour ce qui concerne l'article 64 de la loi critiquée, il reste silencieux s'agissant de l'article 65.
A la lecture des observations du Gouvernement, on se rappellera les propos de monsieur l'avocat général Bonalt, tenus lors de son discours prononcé à l'occasion de l'audience solennelle de la cour d'appel de Paris, le 16 octobre 1889, sur la « mendicité, des moyens de la prévenir et de la réprimer » : « La misère n'est ni un crime ni un délit, c'est un malheur pour celui qu'elle atteint ; or, on ne punit pas le malheur, on le soulage quand on n'a pas pu le prévenir. » Au xxie siècle, ces paroles fortes paraissent conserver toute leur actualité.
Paroles qui valent aussi pour les articles 50 et 51 de la loi critiquée.
X. - Sur l'article 76 de la loi
Le Gouvernement fait l'aveu que les mots : « sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public » sont superflus dès lors qu'ils rappellent la condition générale de préservation de l'ordre public.
Or, du fait des nouvelles infractions créées, cette condition risque de jouer très souvent et d'autant plus que les fichiers de police, créés en application de l'article 21 de la loi, constitueront une source de vérification permanente au titre de l'article 25.
Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, cette disposition protectrice doit pouvoir jouer alors que la personne concernée est encore en situation de se prostituer mais essaie d'arrêter. Le fait de dénoncer constitue précisément un des moyens d'y parvenir.
Ces quelques mots sont donc inutilement restrictifs et ruinent l'impact même de la mesure proposée. Etant séparables du reste de l'alinéa, ils peuvent être invalidés sans que le mécanisme d'ensemble soit affecté.
Il en va de même pour la limite fixée en ce qui concerne la délivrance de la carte de résident. La personne prostituée en dénonçant tel ou tel membre d'un réseau ou un proxénète isolé prendra des risques importants pour sa vie. Il est donc important que sa protection soit très élevée. Face à de tels risques, le témoignage abusif paraît peu probable.
C'est pourquoi il convient de censurer cet alinéa, également séparable de l'article , en sorte que le droit commun des étrangers pourra s'appliquer pleinement, dans le respect de l'équilibre nécessaire entre la protection du témoin et de la personne mise en cause dans une procédure pénale.
Les invalidations partielles ainsi décomposées répondent tant à l'objectif de l'ordre public qu'à la nécessaire protection de personnes victimes de réseaux criminels.
XI. - Sur l'article 113 de la loi
Les exemples avancés par le Gouvernement pour défendre cette disposition ne peuvent emporter l'adhésion.
D'une part, les auteurs de la saisine constatent que le Gouvernement confirme, implicitement, mais nécessairement, leur argumentation en prenant soin de citer l'article 440 du code de justice militaire. Qu'en effet cette disposition répond aux statuts particuliers des personnels militaires. Or, comme ne peut l'ignorer le Gouvernement, ces fonctionnaires relèvent d'un statut général déterminé par la loi du 13 juillet 1972, qui limite l'exercice de plusieurs libertés constitutionnellement établies. Ainsi, « la force armée étant essentiellement obéissante » (décret du 12 décembre 1790), les militaires ont une liberté d'expression très contrainte, une liberté d'association limitée, un droit de grève et un droit syndical inexistant.
En justifiant la mesure critiquée par l'exemple d'un statut qui, pour des raisons évidentes, limite les droits et libertés fondamentaux, le Gouvernement démontre très clairement qu'il s'agit d'une disposition particulièrement attentatoire à la liberté d'expression du citoyen n'étant pas sous les drapeaux.
On ajoutera que l'article 440 du code de justice militaire ne vise pas l'hymne national. C'est dire que même au titre d'un régime fort dérogatoire au droit commun, il est apparu peu crédible de constituer en infraction une telle hypothèse difficile à cerner raisonnablement.
On espère que dans l'esprit du Gouvernement, les citoyens ne sont pas destinés, un jour, à regretter avec Racine que « La gloire d'obéir est tout ce qu'on nous laisse ».
D'autre part, il est éclairant de constater que l'atteinte à l'ordre public avancée n'est absolument pas caractérisée. S'agissant d'une atteinte à la liberté d'expression et de communication des opinions, cette caractérisation précise est pourtant indispensable.
Les autres exemples en font la contre-épreuve évidente. La destruction de biens publics, notamment, suppose des actes matériels précis dont, au surplus, on peut craindre dans certaines circonstances qu'ils aboutissent à interrompre ou à rendre plus difficile la continuité du service public auquel l'édifice ou le bien public en cause est affecté.
Rien de tel en l'espèce.
Quant à l'outrage tel qu'il existe dans le code pénal, il est certain que sa définition n'a pas été reprise dans l'article critiqué. Or, du point de vue de la légalité des délits et des peines, on ne saurait se référer aux éléments constitutifs d'une autre infraction, aurait-elle le même intitulé, dès lors qu'elle vise des comportements différents.
L'outrage par le geste, l'écrit, l'image, ... peut se comprendre parfaitement quand une personne est en cause. Ces éléments constitutifs sont plus délicats à caractériser lorsqu'il s'agit d'un drapeau ou d'un hymne. Sauf si, comme les auteurs de la saisine le soutiennent, en visant les écrits ou les images on entend porter atteinte à la liberté d'expression y compris celle de création des artistes.
Enfin, pour ce qui est de la référence à la jurisprudence de la Cour de cassation sur l'apologie de crimes contre l'humanité, on peine à comprendre le lien avec le grief.
De tous ces chefs, la censure est encourue.
XII. - Sur les articles 141 et 142
Les observations du Gouvernement ne peuvent convaincre.
En particulier, si la suppression d'une procédure consultative est possible au terme de votre jurisprudence, encore faut-il que cela n'aboutisse pas à méconnaître le principe d'égalité. Or, en l'espèce, rien ne justifie que cette consultation de la commission du titre de séjour soit supprimée sur cette seule partie du territoire national.
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Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer, même d'office, les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans l'intégralité des griefs dirigés contre l'ensemble de la loi sur la sécurité intérieure.
Nous vous prions de croire, Monsieur le président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre considération la plus haute.